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Une chanson traduite peut-elle obtenir le même succès que sa version initiale ?

24 Jan 2022 | International

Le sujet ne vous semble peut-être pas très complexe, mais en réalité il l’est !

Interrogeons-nous sur ce qui fait le succès d’une chanson. Est-ce simplement la mélodie ? pas uniquement. Ce qui fait son succès est beaucoup plus vaste : le sujet traité, le contenu, le contexte, la position de l’auteur, son interprète etc. Bref, si une chanson est traduite puis chantée par un autre, il y a fort à parier que les raisons de son succès ne soient plus réunies…

La traduction peut-elle être objective ?

En matière de traduction de paroles de chanson, il y a fort à parier qu’on obtiendrait autant de traductions différentes qu’il existe de traducteurs.

Pourquoi ? car traduire une chanson, nécessite une « interprétation » du contenu. Il faut que notre traducteur se mette dans la position de celui qui a écrit la chanson initiale, et qu’il essaie de deviner quelles émotions, quel message l’auteur a voulu faire passer pour mieux le transcrire en français. Rien de plus difficile en réalité !

« On ne traduit pas ce qui est écrit ; on traduit ce qu’on pense qu’a pu penser celui qui a écrit ce qu’il a écrit quand il l’a écrit », a écrit Jean-René Ladmiral (2010, p. 9)

Tout l’art du traducteur est donc d’arriver à trouver le juste milieu entre le respect du texte source et le style qu’il doit recréer dans le texte cible. Il doit donc commencer par définir ce style qu’il va créer pour cet auteur, en se posant la question suivante : « s’il était français, quel serait son style d’écriture ? ».

Comment conserver le rythme et la poésie ?

En matière de chanson, il existe une autre contrainte puisque les textes doivent ensuite être chantés. Il faut donc respecter le nombre de vers, leur taille, et leur musicalité.

L’info en + : entendu dans un dessin animé chantant que regarde ma fille de 5 ans : « Sauter sur la lune avec des après-skis ». On voit bien ici que la seule idée était de créer une rime entre moon et moonboot or en français cette rime n’existe plus du tout et la phrase cible n’a donc ni rime ni sens !

Traduire des paroles de chanson s’apparente presque à traduire une poésie. Et pour le coup, de nombreux auteurs sont unanimes sur le sujet, c’est impossible !

Il s’agit donc d’une transcréation. Ce terme désignant l’acte de traduire de manière créative un contenu. Sur ce sujet, le traducteur devient donc l’intermédiaire entre deux cultures dont il doit se faire le passeur. Charge à lui de réussir à retranscrire le contexte de la chanson initiale (contexte politique, économique, culturel, etc.)

Pourquoi les chansons traduites sont assez rares ?

Il n’est donc pas si étonnant de voir plus de mélodies reprises que de chansons traduites à proprement parlé.

Une vraie réussite

Le seul groupe qui en a fait une force, ce sont Les Franglaises. Et pour le coup, le parti pris a été de traduire littéralement certaines chansons anglaises, dans le but de faire réfléchir les auditeurs français, notamment sur le ridicule des traductions automatiques du genre de Google Translate. Ce qui fait que les reprises des Franglaises fonctionnent, c’est qu’elles sont chorégraphiées, mises en scène, et que le résultat final est au croisement entre le stand-up, la pièce de théâtre et la chanson. Une de leur plus célèbre chanson est la reprise de Only You (seulement toi).

Des tentatives plus ou moins heureuses

Prenons maintenant l’exemple de quelques chansons qui ont été adaptées en français (pas toujours élégamment, il faut être réaliste ^^)

Prenons pour exemple Gilbert Montagné avec « Elle chantait ma vie en musique » (1973) que je vous laisse écouter.

Alors, vous avez trouvé de quelle chanson américaine il s’est inspiré ? Et oui, il s’agit de « Killing Me Softly With His Song » dont la reprise la plus connue est celle de Lauryn Hill et les Fugees. Mais pour le coup, il ne s’agit pas du tout d’une traduction.

Voici les paroles de Gilbert Montagné :

On m’avait dit qu’elle chantait dans un quartier perdu

Alors ce soir pour l’écouter, je suis venu

Et les mots de sa chanson semblaient écrits pour moi

Elle chantait ma vie en musique

Elle disait les mots en chanson

Je revoyais l’Amérique

Elle touchait mon cœur, tendrement,

Elle me rassurait, doucement

Elle m’emportait loin du présent

Alors que si on traduit littéralement Killing Me Softy, voici ce que ça donne :

Strumming my pain with his fingers / Frappant ma douleur avec ses doigts
Singing my life with his words / Chanter ma vie avec ses mots
Killing Me Softly With His Song / Me tuant doucement avec sa chanson
Killing me softly with his song
Killing Me Softly With His Song
Killing me softly with his song
Telling my whole life with his words / Raconter ma vie entière avec ses mots
Killing Me Softly With His Song / Me tuant doucement avec sa chanson
Killing me softly with his song

I heard he sang a good song, I heard he had a style / J’ai entendu qu’il chantait une bonne chanson, j’ai entendu qu’il avait un style
And so I came to see him, to listen for a while / Et alors je suis venu le voir, pour l’écouter un moment

Même chose avec la reprise par Joe Dassin (1978) de « No Woman no cry » de Bob Marley (il fallait oser !) avec « Si tu penses à moi ». On vous laisse l’écouter pour vous faire votre propre avis.

Si vous voulez d’autres exemples de ce genre, je vous invite à consulter l’article suivant, dédié au sujet.

Pour clore ce sujet, je pense qu’adapter une chanson, et ce même si la langue source et cible sont assez proches en terme de syntaxe, relève d’un défi. Mieux vaut que la chanson source soit peu connue si on veut que le résultat ne soit pas décevant pour le public.

En définitive, rares sont les chansons adaptées de l’anglais et qui ont eu le même succès en France en français !