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Réflexions autour de la traduction : gérer « l’intraduisibilité »

26 Fév 2019 | Métier

L’exercice de traduction n’est pas toujours évident. Un traducteur peut se heurter au vocabulaire très technique d’un document médical ou financier. Il peut aussi avoir affaire à des délais serrés pour répondre à une demande urgente. Pire, il peut devoir gérer ces deux paramètres en même temps ! Mais le plus épineux pour un traducteur reste tout de même les mots littéralement « intraduisibles ».

Qu’entendons-nous par « intraduisibles » ? Quelles techniques le traducteur peut-il utiliser pour trouver une traduction appropriée ? Lisez notre article pour en savoir davantage !

Pourquoi parlons-nous de mots « intraduisibles » ?

En premier lieu, la traduction se définit par le fait de transposer une information rédigée dans une langue vers une autre, le plus fidèlement possible. L’exercice est-il toujours réalisable ?

La réponse est non. Parfois, les langues regorgent
d’expressions, de mots, d’idées, de concepts dont le sens ne peut pas être
retranscrit précisément dans une langue cible. Le traducteur se trouve donc
dans l’embarras ; il doit trouver des solutions pour contourner ce
problème et faire un choix.

Mais pourquoi ces mots sont-ils alors « intraduisibles » ?
Pourquoi chaque mot ne trouve-t-il pas son équivalent dans toutes les
langues ?

«Commuovere » : avoir chaud au cœur, souvent face à une histoire qui émeut aux larmes.

En fait, la langue est avant tout un outil de communication. Elle est intimement liée à une culture et à une identité propre. Il arrive alors que des habitudes culturelles, des modes de vie, des façons de penser soient englobés dans un mot précis, qui, de facto, ne peut pas exister dans une autre culture, et par conséquent dans une autre langue.

Comment cela se passe-t-il en pratique ?

Alors que les langues du Sud possèdent de nombreux mots pour décrire la joie des activités extérieures, les langues nordiques, quant à elles, disposent de quantités de vocables qui évoquent la satisfaction d’être chez soi.

Prenons, en cette période hivernale, le cas du mot hygge. Dans la culture danoise, ce concept fait référence à un sentiment de bien-être, de joie dans une atmosphère intime et chaleureuse. Plus qu’un concept, c’est un art de vivre. Vous avez sûrement déjà entendu parler de cette recette miracle pour passer l’hiver en douceur, prononcé [y.ɡœ]. C’est normal, c’est le nouveau mantra (tiens, un autre mot étranger venu du sanskrit) à la mode : ajouter plus de hygge dans votre quotidien !

Vous l’aurez compris, il n’existe donc aucune traduction de ce concept.

D’ailleurs, ne vous êtes-vous jamais retrouvé dans la situation où pour exprimer une idée, seul un mot étranger vous venait à l’esprit ? Et que, incapable d’en trouver un équivalent dans votre langue maternelle pour exprimer aussi bien cette idée, vous l’avez utilisé tel quel, dans sa langue d’origine ? Ou avez-vous peut-être vous-même déjà utilisé le terme hygge en vous demandant comment le prononcer 😉 ?

Vous ne le saviez peut-être pas, mais en agissant ainsi vous avez procédé à un « emprunt ».

Emprunts, néologismes, équivalents : quelles sont alors les techniques utilisées par les traducteurs ?

La traduction de certains mots pose problème « au
point de susciter un néologisme ou l’imposition d’un nouveau sens sur un vieux
mot »
(Cassin, 2004).

Pour contourner ce problème et proposer une traduction, le linguiste peut recourir à :

  • un néologisme, qui selon le Larousse correspond à « tout mot de création récente ou emprunté depuis peu à une autre langue ou toute acception nouvelle donnée à un mot ou à une expression qui existaient déjà dans la langue ». Nous aurions très bien pu, pour hygge, reprendre le mot et en changer la morphologie ;
  • un emprunt, qui se définit donc par la reprise d’un mot tel qu’il existe dans une langue étrangère, comme nous l’avons fait pour hygge ;
  • un équivalent, où il faut trouver un mot existant déjà dans la langue cible et se rapprochant le plus fidèlement de l’idée de départ. Les mots « bien-être », « chaleureux », « cosy », « confort » auraient pu être des équivalents d’hygge ;
  • une périphrase, pour expliciter ce nouveau mot. Nous pourrions utiliser en français « hygge, ou l’art de vivre danois », « la création d’une atmosphère intime et harmonieuse », « un état d’esprit positif procuré par un moment jugé réconfortant, agréable et convivial ».

« La recherche linguistique ne cesse de découvrir de nouvelles articulations entre les langues, les cultures, et les émotions des individus qui la pratiquent. Il est certain que les langues se nourrissent mutuellement d’inventions auxquelles les autres n’avaient pas pensé. »


Extrait de l’article rédigé par Violaine Morin et publié sur le monde.fr en mai 2016 : https://lemde.fr/2WtJ6fK

Parmi ces techniques,
laquelle choisir ? Tout est une question de sens. Comme nous le disions au
début de notre article, une traduction doit rendre, le plus fidèlement
possible, le sens du texte de départ. Le linguiste optera donc pour la solution
qui répondra à son objectif premier : perdre le moins de sens possible.