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Pourquoi vous dites « ma jambe gauche » et pas « ma jambe sud-ouest »

27 Juil 2010 | Métier

Un article fascinant du Wall Street Journal a récemment retenu mon attention, tant par la qualité de la démonstration que par le caractère majeur de la découverte. Appliqué aux langues, nous avons enfin la réponse à cette question existentielle cruciale : qui de la poule ou de l’oeuf est venu le premier ? En termes linguistiques : est-ce la langue qui façonne notre mode de pensée, ou le contraire ?

De plus en plus d’études cognitives laissent à penser que le langage influence profondément la façon dont nous percevons le monde. Je reprends quelques passages parmi les plus intéressants de cet article.

Première conclusion : notre manière de percevoir le temps, l’espace, les relations de cause à effet est conditionné par notre langage. Par exemple, dans la communauté aborigène Pormpuraaw, les indigènes n’utilisent pas les termes « gauche » et « droite » : toutes les références spatiales sont désignées avec les points cardinaux nord, sud, est, ouest. Ce qui signifie que l’on dira par exemple : « il y a une fourmi sur ta jambe sud-ouest ». 1/3 des langues dans le monde reposent sur des directions absolues, et ses locuteurs sont particulièrement doués pour se repérer dans l’espace, même dans des environnements peu familiers, ce grâce à l’entraînement que leur a apporté leur langue en la matière. En ce qui concerne le temps, une expérience menée avec cette même communauté aborigène a eu des résultats tout à fait surprenants. Quand on a présenté des images à mettre dans un ordre chronologique (ex : un homme à des âges différents), les Anglais les ont positionnées de gauche à droite, les Hébreux de droite à gauche (parce que c’est dans ce sens que s’écrit leur langue), et les Pormpuraaw d’est en ouest : s’ils étaient assis face au sud, les images ont été mises de gauche à droite, face au nord, de droite à gauche, face à l’est, vers le corps, etc. Sans qu’on leur ait indiqué quelle était leur orientation, non seulement ils la connaissaient mais ils l’ont utilisée spontanément dans leur approche au temps.

La langue nous prédispose à d’autres aptitudes étonnantes : par exemple, les Russes, qui ont à leur disposition de nombreuses variations de vocabulaire entre le bleu clair et le bleu foncé, sont mieux à même de différencier visuellement des nuances de bleu. Les Pirahã, des Indiens d’Amazonie n’ayant pas dans leur langue de termes de numération mais seulement des mots comme « peu » et « beaucoup », ne sont pas capables de mémoriser des quantités.

Jusque là, cela prouve uniquement que des locuteurs de langue différente pensent différemment, cela ne nous dit pas si la langue conditionne notre pensée ou si c’est l’inverse. Récemment, c’est ce point qui a été éclairci, via un certain nombre d’expériences. Et c’est là que la découverte peut être qualifiée de majeure : si vous changez la manière dont les gens parlent, cela change la façon dont ils pensent. L’apprentissage d’une nouvelle langue entraîne l’apprentissage d’une nouvelle manière de voir le monde. Et quand des gens bilingues passent d’une langue à une autre, ils se mettent à penser différemment également.

De quoi encourager l’apprentissage des langues dès le plus jeune âge ! Et expliquer pourquoi l’on a parfois recours à des termes venus de langues étrangères pour expliquer un concept mal décrit ou inconnu dans notre propre langue…