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Traduction de qualité et réussite commerciale. Un bon exemple dans la BD avec Tintin

12 Jan 2010 | Métier

Une nouvelle traduction, en chinois et de qualité, de 22 albums de Tintin : une réussite commerciale assurée et un vrai bonheur retrouvé !

Tintin est assez populaire en Chine. Pour ceux qui connaissent un peu Pékin, un bar assez fréquenté ces dernières années, situé sur les berges du lac de Qianhai (berge Ouest) de Beijing, était totalement inspiré du Lotus Bleu. Voici une photo de la devanture où j’avais à l’époque fait figurer un petit Professeur Tournesol…

Les premières parutions officielles de Tintin en chinois en Chine datent d’une dizaine d’années, en 2001.  D’autres, pirates, sont beaucoup plus anciennes. Cette « première » traduction était en quelque sorte en avance sur son temps…il s’agissait d’une crowdslation (mot que nous avons eu plaisir de créer hier, en pleine créativité (!!!!)  et discussion avec un chef de projet , à partir de crowdsourcing et translation…). Cette crowdslation (et lui, le mot sera féminin…) donc avait été menée par une dizaine de traducteurs différents, s’étant partagé les albums entre eux et qui avaient traduit en chinois à partir de la traduction anglaise…du beau boulot (hum…)…mais qui a eu comme effet de diffuser très largement les albums dans toute la Chine…

Quelques perles ont été relevées dans les éditions précédentes :

Lors de la sortie en Chine de l’album Tintin au Tibet, (Info du journal Le Monde du 26 mai 2001), le titre calligraphié en Mandarin était bizarrement devenu : Tintin au Tibet chinois… Une erreur de traduction lourde de sens, qui a indigné et l’éditeur chinois a du corriger la traduction après avoir écoulé 10.000 ex tout de même.

Mêmes erreurs de traduction dans « Tintin au Tibet ». A la page 29, Tintin, arrivé à l’endroit de la catastrophe aérienne, a trouvé une poupée et dit au capitaine Haddock : « Dites, voyez ce que je viens de trouver… « ; Dans la version chinoise, cela devient : « C’est sans doute un cadeau que Tchang allait offrir à son beau-frère« .

Dans Tintin [« Les Cigares du pharaon »], à la page 57 : le Japonais Mitsuhirato dit à Tintin : « Je savais bien que tu donnerais dans le panneau « , ce qui veut dire bien sûr que Tintin tomberait dans le piège, mais on a traduit en chinois : « Je savais que tu irais te cacher dans le tonneau« 

A propos du Lotus Bleu encore, on trouve des informations « marrantes » sur le site Ramou (un de mes sites préférés pour entretenir mon chinois) :

C’est que le texte a été remanié et surtout écourté. On a supprimé le passage indiquant que les Chinois passent leur temps à inventer des supplices. Par contre, on a ajouté une justification (les petits bébés chinois que l’on jette à l’eau dès leur naissance parce qu’on ne peut les nourrir) et un commentaire (les Occidentaux croient que les Chinois [passent leur temps à manger] mangent des œufs pourris et des nids d’hirondelle… en réalité, il connaissent mal la Chine, ils connaissent mal le peuple chinois…).

Un extrait intéressant d’une interview de Monsieur Wang Bing­dong, Professeur de français à l’Université des Langues étrangères de Pékin, et nouveau traducteur de « Tintin » dans une interview à La Libre Belgique :

« La plus grande difficulté pour moi était évidemment de trouver des solutions pour faire passer en chinois les jeux de mots, les jurons du capitaine Haddock, les onomatopées et interjections, sans parler des deux langues inventées par Hergé, le syldave et l’arumbaya. Dans la version chinoise existante, ou bien l’on ignorait carrément ces difficultés ou bien on les traduisait n’importe comment. Je me suis livré à beaucoup de recherches et de documentation – un travail de fou ! – par exemple pour puiser des équivalents aux gros mots du capitaine dans le riche répertoire des imprécations chinoises. Pour « tonnerre de Brest« , j’ai trouvé « que le Ciel te châtie et que le tonnerre te frappe« ; et pour « mille sabords« ,  » que le ciel te maudisse mille fois, dix mille fois« .

Un autre problème majeur fut de traduire les références au dialecte bruxellois. Si Hergé a gommé certains aspects trop explicites des références belges ou bruxelloises au fil des années et des rééditions, nous trouvons encore dans la plupart des albums l’utilisation de ce dialecte, en général incompréhensible pour le lecteur étranger. Dans « Tintin au pays de l’or noir », le patronyme Bab El Ehr signifie ainsi « bavard » et le toponyme Bir El Ambik n’est rien d’autre qu’une sorte de bière belge. Fallait-il que j’essaie de rendre ces noms en chinois ? Il m’a semblé préférable de les transcrire en chinois sans les traduire. »

Cette nouvelle traduction redonne donc toute la saveur originelle des textes de Hergé. Même si ce projet s’insère comme souvent aujourd’hui dans une démarche « multi-canal » de diffusion (je fais allusion aux trois films en préparation et devant faire un raz de marée lors de sa sortie mondiale, fin 2011 (le premier des trois films de Steven Spielberg et de Peter Jackson sera basé sur l’album Le secret de la licorne, en 3D « of course »…), cette nouvelle traduction est une très bonne nouvelle et  a été  un projet complexe mais passionnant. Et pas de doute encore, ce type de traductions, littéraires, tout comme de nombreuses traductions commerciales, restent le privilège des traducteurs en chair et en os, qui doivent mettre toute leur expérience et sensibilité pour reproduire le sens profond du texte source. Tiens, et si on tentait de traduire un des albums de Tintin avec un logiciel de traduction automatique…une bonne soirée de larmes en perspective !

Note : Tintin en chinois s’écrit « 丁丁 », à cause de sa prononciation, en pinyin, « dīngdīng ».

Reproduction d’un article paru dans le Figaro d’hier sur le sujet :

La nouvelle édition en chinois de vingt-deux albums des Aventures de Tintin a été lancée ce week-end à Pékin.
Les éditeurs de la nouvelle traduction chinoise des œuvres d’Hergé tablent sur 3 millions d’exemplaires vendus par an.

Le plus célèbre des journalistes débarque de nouveau en terre chinoise, porté par une traduction entièrement nouvelle. La nouvelle édition de vingt-deux albums des Aventures de Tintin a été lancée ce week-end à Pékin et 830 000 exemplaires ont déjà été mis en place. Les Éditions Casterman et leur partenaire chinois China Children’s Presse and Publication Group (CCPPG) ambitionnent 3 millions d’ouvrages vendus chaque année. La sortie du Tintin de Steven Spielberg, prévue pour 2011, devrait renforcer l’engouement pour le mythique reporter.

Après des versions taïwanaises, à partir de 1980, et diverses publications pirates en Chine continentale, la première édition officielle est apparue en 2001. Elle a permis de vendre plus de 2 millions d’albums. Mais elle était imparfaite, voire franchement médiocre selon les titres. La traduction, réalisée par une dizaine de personnes différentes, s’était faite depuis la version anglaise, d’où une double interprétation. Cette fois-ci, l’ensemble de la traduction a été confié à un universitaire et professeur de français, Wang Bing­dong, qui a fait un travail remarquable. L’histoire de cet homme érudit et délicieux est en elle-même étonnante. Fan depuis longtemps du « Tintin chinois », San Mao ou « Trois Poils », un personnage assez proche, il n’a découvert réellement Tintin qu’en 2001 à l’âge de 66 ans. « Coordonnant un ouvrage sur la Belgique, je me suis trouvé obligé d’écrire l’article sur Tintin, n’ayant pas trouvé de spécialiste en Chine, confie-t-il, du coup, on m’a remarqué et contacté pour cette nouvelle aventure éditoriale. »

Wang Bingdong a donc laissé de côté la version anglaise où les Dupond-Dupont étaient devenus les Thomson-Thompson, pour repartir du texte originel en français. Trois années de travail, avec de belles suées pour traduire les magnifiques jurons du capitaine Haddock. Non que le chinois soit, comme bien des langues, pauvre en injures, mais il fallait trouver des équivalents les plus fidèles possibles. « Tonnerre de Brest » est devenu « Que le Ciel te châtie et que le tonnerre te frappe ! », « Mille sabords » se traduit par « Que le ciel te maudisse mille fois, dix mille fois ». Il a fallu aussi tropicaliser les onomatopées et autres interjections. « Plouf » devient « putong ». « Tout est un problème d’usage langagier et de connotation sociocultu­relle, explique Wang Bing­dong, et j’ai rétabli certains patronymes et toponymes. » Milou ne s’appelle plus Snowy, pas plus que Moulinsart ne se lit Marlinspike Hall.

« Réel souci de documentation »

Au-delà des deux albums Le Lotus Bleu et Tintin au Tibet, la Chine a profondément marqué Hergé. « Avant Le Lotus Bleu, Hergé travaillait dans l’insouciance et l’improvisation, sans craindre de reprendre les clichés de la littérature populaire, rappelle Louis Delas, directeur général de Casterman. Après, il a changé sa méthode de travail, avec un réel souci de documentation. » Entre-temps, il y a eu la fameuse rencontre avec Tchang Tchong-jen, étudiant chinois à l’Académie des beaux-arts de Bruxelles, qui va lui donner les clés de la vraie Chine. On connaît la suite, Tchang intégré à l’aventure même de Tintin, jusqu’à devenir le seul être à faire pleurer le reporter.

Tintin et son charme suranné ont-ils une chance de séduire une Chine hyper­active et fascinée par tout ce qui est moderne ? « Oui, car Tintin est assez connu des Chinois, même s’il arrive derrière Disney ou les mangas japonais, estime Pierre Justo, le plus grand collectionneur de Tintin en chinois, et ce qui est amusant, c’est qu’une grande majorité de Chinois sont persuadés que Tintin est français… » Ne manquent à cette nouvelle collection chinoise que Tintin et l’Alph-Art et, surtout, pour des raisons évidentes, Tintin au pays des Soviets.

(Arnaud de La Grange)

Autres sources : Ramou.net & La Libre Belgique &